Saint Melaine était natif de la Paroisse de Brains, au Diocèse de Rennes, située sur la rivière de Vilaine, (il s’appelait anciennement Placz, ou Pletz), de parents nobles et puisants, auxquels ce saint Enfant fut donné du Ciel, l’an de grâce 462, sous le Pape saint Hylaire, l’Empereur Léon I. et le Roi de Bretagne Hoël I. du nom. Il fut nourri et élevé en la maison de ses parents, sous la conduite d’un vertueux précepteur, jusqu’à l’âge de quinze ans ; pendant lequel temps, il fit son cours et humanité et philosophie. Ses études achevées, ses parents l’envoyèrent à la cour du Roi Hoël, qui résidait à Rennes, duquel il fut page à trois ans, pendant lesquels, il se rendit parfait en toutes sortes d’exercices requis en un gentilhomme de son rang et maison. Mais Dieu, qui en voulait faire un grand Prélat en son Église, lui toucha le cœur et l’inspira de se dégager des embarras du siècle et de se confiner en quelque Monastère, pour y chercher le repos de sa conscience et se dédier entièrement au service de Dieu. Tout lui déplaisait en ce monde ; les délices de la cour lui venaient à contre-cœur ; les faveurs qu’il recevait du Roi son maitre, et les honneurs que les autres courtisans déferaient à sa vertu lui étaient importuns : ses délices, c’était de visiter les Églises, de fréquenter les Monastères et Hospitaux, de lire la sainte Ecriture et de s’exercer en toute sorte d’œuvres de piété.

Ayant vécu en la cour de cette façon, l’espace de trois années, il se résolut de suivre le mouvement du S. Esprit et de se rendre Religieux. Il demanda plusieurs fois son congé ; mais le Roi l’en refusa toujours et lui fit offre d’offices et d’augmentation de pensions ; mais il le refusa et fut enfin si importun, que le Roi (quoi qu’à regret), lui donna son congé. Melaine, se voyant quitte de la cour, se retira en un Monastère fort austère et y demanda l’habit, lequel il recut l’an 480, qui était le dix-huitième de son âge, sans le sou de ses parents ; lesquels, en ayants été avertis, tachèrent, de tout leur pouvoir, de l’induire à s’en retourner au monde, même y employèrent le crédit du Roi et des plus grands de sa cour, mais ils n’y purent rien faire : au contraire, Melaine, par son exemple et parla force de ses exhortations, persuada à plusieurs jeunes Seigneurs, qui avaient été ses compagnons au service du Prince, de quitter la vanité de leurs prétentions et espérances, pour embrasser la Croix de la Pénitence ; ce qui réussit si heureusement, que les Monastères furent, en peu de temps, peuplez de nombre de Seigneurs de qualité relevée. Pendant l’année de son Noviciat, il fit un amas et riche trésor de toutes sortes de vertus. Il chérissait spécialement l’humilité et s’occupait volontiers es Offices les plus vils et abjects du Monastère, ayant mieux être humble en la maison de Dieu, que vivre en splendeur et honneurs et palais mondains. Il était patient et adversité, charitable envers son prochain, affable à un chacun. Il macérait sa chair d’austeritez pour la rendre sujette à l’esprit. Il garda perpétuellement sa chasteté, menant en un corps mortel une vie plus Angélique qu’humaine. On s’était tellement dénué de sa propre volonté, qu’il n’en avoir point d’autre que celle de son Supérieur, lequel, l’ayant expérimenté une année et éprouvé ses forces, le reçut à la profession, au grand contentement de tous les Religieux, l’an 481. le 19. de son âge.

Sortant du Noviciat, il fut mis à l’étude de la Sacrée Théologie, qu’il ouï l’espace de quatre années; et, pendant ce temps, il reçut les ordres Mineures et Majeures à chanta sa Messe deux ans après, qui fut l’an 487 et le 25. de son âge ; et l’Abbé du Monastère étant décédé peu de temps après, il fut élu en sa place par la commune voix de tous ses confrères, lesquels se soumirent à sa direction et le contraignirent d’accepter son élection, sans avoir égard à ses raisons, et le menèrent vers l’Evesque Diocésain, qui le bénit et le renvoya en son Monastère, duquel il prit possession l’an 491, au contentement de tous ceux qui le connaissaient. Melaine, se voyant élevé en cette Dignité, exposé aux yeux de ses confrères, changea entièrement de manière de vie, et celui qui lors n’avait charge que de soi même, se tenait clos et serré dans sa Cellule, devint soigneux et vigilant sur son troupeau. Il était prudent, discret, doux et affable, charitable envers un chacun, débonnaire et indulgent à autrui, mais sévère à soit même ; il réprimait, par ses charitables corrections, les plus revêches, encourageait les vertueux, excitait les pusillanimes, confirmait, par son bon exemple, les parfaits, gouvernant son Monastère avec la satisfaction de ses Religieux et l’édification des Séculiers qui le venaient visiter, et se retiraient, le plus souvent, navrez du désir de servir Dieu dans son Ordre et sous son obéissance. IV. Dieu lui avait donné une vertu particulière contre les illusions des diables, lesquels ne se pouvaient tenir caché, n’y déguisé en sa présence. Un jour, promenant dans le bois de son Monastère, il fit rencontre de l’ennemi du genre humain, déguisé sous la figure d’un taureau noir, les cornes prodigieusement grandes et aiguës, les yeux etincelants en la tête, tout échauffé et en furie. Saint Melaine l’arrêta et lui demanda où il allait : le Diable, forcé par la vertu et commandement du saint Abbé, lui dit qu’il au Monastère pour faire boire aux Religieux d’une certaine potion qu’il leur avait brassée ; et, ayant rendu cette réponse, s’encourut vers le Monastère. Saint Melaine, craignant qu’il ne dressât quelque embûche à ses frères, se hâta de le devancer, et, ayant fait sa prière dans l’Église, il sortit dans la cour du Monastère et vi un des plus anciens moines de l’Abbaye, qui tirait de l’eau du puits, et le diable auprès, qui lui faisait faire mille grimaces et tachait à lui persuader de se jeter dans l’eau. Saint Melaine, considérant la mine et contenance de son moine, se douta, incontinent du fait, et qu’il était obsédé ; il s’approcha de lui, et, inspiré de Dieu, il lui déchargea un soufflet sur la joue, dont le diable, confus et écorné, lâcha prise et s’enfuit, laissant, désormais, ce moine en patience.

V. Pendant que S. Melaine gouvernait son Monastère avec grande édification de tout le monde, saint Amand, Evesque de Rennes, tomba malade et eut révélation de son prochain décès, et qu’il eût à nommer pour successeur à sa Dignité l’Abbé Melaine : le saint Prélat n’y voulut manquer, et fît appeler le Saint, lequel vint le trouver, avec quelques uns de ses moines, et, après les salutations et saints colloques, S. Amand lui déclara la révélation qu’il avait eue, et que la volonté de Dieu était qu’il prit le soin de la charge de son troupeau, l’exhortant à entreprendre ce fait, quoi que pesant, mais toute fois nécessaire pour régir les âmes et les conduire au Ciel. S. Melaine, qui ne pensait à rien moins qu’à cela, s’excusa envers S. Amand, lui représentant son insuffisance et incapacité pour exercer les fonctions d’une Dignité si relevée ; mais il n’y gagna rien, car L’Evesque le retint en sa maison, lui dit tant de raisons le pressa si puissamment d’accepter cette charge, qu’il ne lui cessa, n’y nuit n’y jour, tant qu’il lui eut fait consentir ; et, alors, remerciant Dieu d’avoir si bien pourvue à son troupeau, il rendit l’âme il fut solennellement enterré en sa Cathédrale, et, depuis, ses saintes Reliques furent levées de terre et portées en l’Abbaye de saint Melaine de Rennes, où elles sont gardées en grande révérence. Quand les Religieux de son Monastère seurent ce qui s’était passé entre S. Amand et S. Melaine, et qu’il avait, par importunité dudit Evesque, consentit à son Sacre, ils furent saisis d’un extrême regret ; mais, au contraire, le deuil et regret que menait le peuple Rennais de la mort de S. Amand fut modéré par la joie qu’il reçut, lors qu’il sut que S. Melaine lui devait succéder. Les funérailles du défunt Evesque furent solennellement célébrées, et, aussitôt après, S. Melaine fut consacré et installé en son Siège, en présence du Roi Hoël II. du nom de toute sa cour, l’an de grâce 505, à 43 ans, de son âge. Étant Evesque, il ne changea rien en sa façon de vivre ; son service était simple, son vivre frugal et commun, sa famille modérée ; il retint, toute sa vie, l’habit de son Ordre, si exact et ponctuel en l’observance et continuation des Exercices Claustraux (qui pouvaient compatir avec sa charge) que ferrait le plus fervent Novice. Quant à l’économie et disposition du temporel de son Évêché (à quoi, selon le dû de sa charge, il était obligé de vaquer), il en laissait le soin à des fidèles et vertueux séculiers qu’il avait à son service à bons et assure gages, comme aussi tous les autres officiers, pour leur ôtés toute occasion de rechercher aucun lucre sordide et illicite à son service. Il avait un soin très particulier des pauvres et nécessiteux, auxquels il faisait distribuer de grosses aumônes ; il les visitait paternellement, les consolait en leurs afflictions, les supportait en justice et les préservait des oppressions des riches. Il était infatigable à prêcher son peuple, auquel il administrait les Sacrements de sa propre main. Il visitait soigneusement son Diocèse, rétablissant la police et Discipline Ecclésiastique où il la trouvait déchus, ou relâchée, faisant exactement observer les saints Canons et Décrets des Conciles, ordonnant des punitions rigoureuses contre les réfractaires. Il remplit les cures vacantes et les pourvut de gens de bien, doctes et pieux, qu’il tirait des Monastères de Bretagne, Anjou, Poitou et Normandie, pour avoir à la main des personnes d’empreinte à la conversion des âmes. Il fit venir de Normandie S. Paterne (qui depuis fut Evesque d’Avranches) et lui fit bâtir un Monastère près la ville de Rennes, lequel, en peu de temps, devint une fertile pépinière de personnages signalé en Sainteté et Doctrine.

VII. Le Roi Hoël, connaissant l’esprit et la capacité de S. Melaine, et l’estime que tout le monde faisait de sa vertu, le fit son chancelier, espérant que ses affaires se porteraient bien, étant maniées par un tel ministre de son état. La seconde année de son Pontificat, qui fut l’an de salut 507. le Pape Symmachus fit, à la requête de Clovis, premier Roi Chrétien des Français, assembler un Concile de trente et trois Evesques à Orléans, pour donner ordre aux affaires de l’Église Gallicane et arrêter le cours de plusieurs erreurs et pernicieux dogmes, qui commençaient à pulluler parmi cette nouvelle conversion des Français. En ce Concile se trouvèrent, entre autres, cinq Prélats, que l’Église reconnais pour Saints, à savoir S. Gildart Archevêque de Rouen, S. Loup Evesque de Soissons, S. Theodose Evesque d’Auxerre, S. Quintian et notre S. Melaine, qui fut mandé par lettres expresses, et y alla, en compagnie de Modestus, Evesque de Vannes, assista à toutes les Sessions du Concile, où il fit paroisse son zèle à la défense des immunités de l’Église, et à retrancher les abus qui s’étaient glissé en l’un et l’autre Ordre, pour l’extirpation desquels, il fit, par son autorité, faire plusieurs Décrets très utiles pour l’Église de Dieu et l’avancement de la Religion au Royaume de France. Le Concile fini, il s’en retourna à Rennes, et fit la visite par son Diocèse, veillant à ce que les Décrets du Concile d’Orléans y fussent exactement observé.

VIII. Le Roi de France Clovis, ayant oui le récit de ce que S. Melaine avait fait au Concile d’Orléans, et avec combien de zèle il avait contribué à la réformation de l’Église. D’ordinaire les hagiographes ne voient rien de plus beau chez un évêque; or en réalité « la façon de vivre » de saint Melaine fut complètement modifiée par son élévation à l’épiscopat. Un biographe qui écrivait soixante ans après lui fait de lui cet admirable éloge : « Melanius regardait le fardeau de l’épiscopat, qu’on lui avait imposé, comme l’obligeant à s’occuper des affaires publiques, à s’inquiéter des soucis de la foule, des questions qui troublaient le monde, à se prêter dans une certaine mesure aux mœurs du siècle. » — A. -M. T.

Gallicane, l’envoya prier de venir en France ; à quoi le saint Prélat se rendit difficile du commencement, faisant scrupule de s’éloigner du troupeau que Dieu lui avait recommandé ; néanmoins, pressé des importunités du Roi Hoël (à qui le Roi de France avait écrit à cette intention), et voyant l’occasion se présenter de faire quelque fruit au Royaume de France, il partit de Rennes, en compagnie de ceux qui étaient venus quérir, et alla trouver le Roi Clovis, qui le recueillit fort dignement et lui témoigna le contentement qu’il recevait de son arrivée ; et, pour le retenir en sa cour, il le fit son conseiller d’État, comme il avait, de précédant, fait S. Remy, Archevêque de Reims, avec lequel il mania, quelque temps, les plus importantes affaires du Royaume. Pendant qu’il séjourna en France, il s’employa particulièrement à l’instruction des Français nouvellement convertis et à la réformation de la cour du Roi, de laquelle il bannit les personnes vicieuses et introduisit des hommes excellents en doctrine et piété, auxquels il procurait de bonnes pensions ; il fléchissait le Roi à compassion envers les pauvres, et affaires desquels il s’employait volontiers, et leur distribuait de grosses aumônes que le Roi lui mettait entre mains à cette fin. Sa charité ne se contint pas dans les limites de la cour du Roi, mais s’entendit et se communiqua à la campagne, à l’endroit des villageois, lesquels il allait prêcher par les villages, prenant un soin particulier de les instruire en la Foi Catholique, détruisant leurs Autels profanes, brisant leurs Idoles et ruinant les temples de quelques idolâtres, qui croupissaient encore dans leurs superstitions. Pendant son séjour en France, Dieu l’honora de plusieurs miracles, nommément en la délivrance de possédez du malin esprit, lequel il chassa de deux damoiselles de la Maison du Roi Clovis, lesquelles, lorsque le saint Prélat entra dans le palais, commencèrent à se débattre d’une étrange façon, et, ayant été à toute peine amenées devant lui, furent entièrement délivrées.

IX. Ayant passé deux années en France, et voyant que les affaires de la Religion s’y portaient bien, il prit congé du Roi Clovis et s’en retourna à Rennes, où il fut reçut du Roi Hoël et de tout le peuple, avec une joie extrême et, peu après, il visita tout son Diocèse, guérissant les malades, sourds, boiteux, aveugles, muets, paralytiques, et autres infirmes ; et, pour cacher aux yeux des hommes la vertu que le Souverain Médecin lui avait conférée, et conserver la vertu d’humilité, il usait de l’application de quelque légère emplâtre, afin que la grâce des guérisons que Dieu lui avait octroyée fut plutôt attribuée à la vertu des simples qu’à ses mérites. Il usait, le plus souvent, en ses guérisons de l’Onction du saint Crême , comme il fit à l’endroit d’une grande Dame, nommée Eve, qui demeurait au pays du Maine, sur les confins de l’Évêché de Rennes, laquelle ayant été détenue au lit, douze ans, tourmentée d’une fâcheuse maladie, ayant oui dire que saint Melaine faisait sa visite en la prochaine Paroisse, l’envoya prier de la venir voir, ce qu’il fit, et, l’ayant ointe d’Huile sainte, et lui ayant donné sa bénédiction, elle fut guérie sur le champ.

X. Le Roi de Bretagne Hoël II. de ce nom, étant mort, l’an de grâce 560. le Prince Alain, son fils ainé, fut couronné par saint Melaine, en l’Église de saint-pierre de Rennes, lequel continua notre saint Prélat en l’office de son chancelier. Le Roi de France Clotaire, ayant vaincu et tué le Prince Connebert, Comte de Rennes et de Nantes, s’en vint à Rennes, l’an 563. et amena saint Melaine en France, pour la seconde fois, et le fit son conseiller d’Etat, avec les mêmes appointements qu’il avait du Roi Clovis ; mais Clotaire étant décédé l’an suivant 564, saint Melaine s’en retourna en son Évêché. Il alla une fois à Angers visiter saint Aubin, son compatriote et bon ami, et après avoir emmené en sa compagnie un saint Religieux, nommé Mars, originaire de la Paroisse de Bays, en son Diocèse ; étant arrivé vers saint Aubin, il y trouva saint Victor, Evesque du Mans, et saint Lauton, Evesque de Coutances, qui étaient aussi venus visiter; le lendemain, ces cinq Saints allèrent visiter la Chapelle de Nostre-Dame du Ronceray, alors hors (maintenant dedans) la ville en deçà la rivière du Maine, où S. Melaine célébra la Messe, (soit que saint Aubin lui déferait par honneur, ou, ce qui est plus probable, que L’Evesque de Rennes, s’entendit jusqu’à ladite rivière, aussi bien que la domination de nos Princes Bretons). Selon la louable coutume de ces temps-là, il bénit les Eulogies et les distribua aux autres Saints, qui les reçurent et mangèrent, saint Mars seul excepté, qui, pour quelque considération, serra la sienne dans son sein, et, à quelque temps de là, l’y étant allé chercher, il ne trouva plus son Eulogie, mais un hideux serpent qui lui ceignait le corps, comme d’une ceinture, dont il fut extrêmement effrayé ; et, reconnaissant sa faute, il alla trouver saint Melaine, se prosterna à ses pieds, lui demanda pardon, reçut sa bénédiction, et, incontinent, ce serpent reprit sa première forme.

XI. Étant allé une fois à Rennes, comme il entrait dans la ville, on lui dit qu’un jeune homme, possédé du malin esprit, venait de se pendre, (chose qui affligeait extrêmement ses parents, qui étaient des principaux de la ville) le saint Prélat sut, par révélation divine, que l’ennemi s’était hâté de dépêcher ce pauvre garçon, avant son arrivée, et, s’étant fait conduire là où était le corps, il le fit détacher du croc et étendre sur le carreau, et, ayant fait sa prière, il le ressuscita, en présence d’une grande multitude de peuple, qui rendit grâce à Dieu et à S. Melaine. De Vannes il alla à Brains, visiter les Religieux du Monastère qu’il avait édifié en sa terre de Platz, sur le bord de la rivière de Vilaine, où il tomba malade ; et, ayant reconnu que Dieu le voulait appeler de ce monde, il se disposa à en sortir, se munit des Sacrements de l’Église, et, ayant exhorté ses Religieux à la vertu et à la persévérance en leur vocation, il rendit son Âme à Dieu, le propre jour de l’Épiphanie, ou Fête des Rois, 6 jour de janvier, l’an de grâce 567, qui était dans la 62 année de son Pontificat.

XII. Sitôt qu’il eut rendu l’esprit, S. Aubin Evesque d’Angers, S. Victor Evesque du Mans, S. Lauton Evesque de Constance, et S. Mars se trouvèrent à Platz, par une spéciale disposition de la providence de Dieu, pour assister à ses obsèques, et, ayants disposé tout ce qui était nécessaire pour leur conduite, chargèrent le Corps saint sur un bateau et y entrèrent avec le Clergé ; et, sitôt qu’ils y furent entrez, la rivière de Vilaine (qui lors était peu navigable), les porta, contre le courant et fil de l’eau, sans voiles, rames ni autre aide humaine, jusque à la ville de Rennes, douze bonnes lieues pour le moins. La nouvelle de la mort de S. Melaine ayant été sue à Rennes , on eut dit, à voir le deuil qu’on en faisait, qu’un chacun, en particulier, eût perdu son père. Le corps du saint approchant, toute la ville accourut sur les murailles et sur les bords de la rivière pour le voir. Il y avait, sur le bord de la rivière, une grosse tour, dans laquelle étaient enfermés quatre voleurs, lesquels, entendants le bruit que menait le peuple, le chant du Clergé et le son des cloches, sachant que c’était le Corps du Glorieux S. Melaine qu’on apportait en ville, se vouèrent à lui, le suppliants de les délivrer, promettants amendement de vie. A peine eurent-ils achevé leur vœu, que les menottes leur tombèrent des mains et les fers des pieds, et la tour, se crevant, leur donna libre passage. Cependant, le saint Corps fut porté en ville et les obsèques solennellement faites en la Cathédrale. Les quatre voleurs étant hors la prison, allèrent droit à Saint-Pierre, qu’ils trouvèrent si plein de peuple, qu’ils n’y purent entrer d’abord ; néanmoins, prenants courage, ils fendirent la presse et firent tant, qu’ils arrivèrent jusque au Chœur où était le Corps du Saint, devant lequel s’étant prosterné par terre, ils remercièrent Dieu et leur saint Libérateur, et publièrent hautement leur miraculeuse délivrance.

(1) Eulogie; c’était do pain ou antre chose bonne que l’on distribnoit aux fidèles en signe de charité, union et communion catholique. — A.

X. Comme on était prêt de le descendre dans la fosse, il arriva une pauvre femme toute éplorée, portant entre ses bras un petit enfant si défiait et défiguré, qu’on y voyait l’image de la mort ; elle le mit au pied du cercueil du Saint, fit sa prière, et l’enfant se leva sain et dispos. Là même, un pauvre homme, aveugle depuis longtemps, baisant les pieds du Saint, tout sur le champ, recouvra la vue. Une autre femme ayant apporté un petit enfant mort, et ayant prié au tombeau de S. Melaine, le remporta plein de vie. Un pauvre homme paralytique, et un autre perclus de tous ses membres, y reçurent guérison. Une honorable personne, affligée du mal que les médecins appellent Chagrium, qui est une certaine aridité, contraction et sécheresse de mains, s’étant transportée au Sépulcre de S. Melaine et y ayant fait prière, fut entièrement guérie. Un autre, nommé Eusebius, exténué et peu à peu miné et consommé d’une fâcheuse maladie, pour de laquelle se délivrer il avait consommé la plupart de son bien en médecins et médecines, sans aucun profit ni contentement, se voua à saint Melaine, et fut incontinent guéri.

XIV. Les Rennais, voyants les grands miracles qui continuellement se faisaient au tombeau de leur saint Evesque, construisirent, par dessus celui ci, un beau dôme de charpente fort artistement élaborée et firent, tout à Pourtour, une belle clôture, de même étoffe et façon ; mais il arriva, on ne sait comment, possible par la malice du diable, qui porte envie à la gloire des Saints, que le feu s’étant pris à cette charpente et ayant brûlé comme paille les tapisseries et délicates menuiseries, se prit à la liaison des soliveaux et à l’amas et assemblage des chevrons, lequel brûlé, tout l’édifice tomba par terre, et fut la chute si lourde et si violente, que la pierre du Sépulcre en fut brisée, et ledit Sépulcre, en moins de rien, tout rempli de gros charbons ardents. Les Rennais, voyants cet accident, s’attristèrent beaucoup et se mirent en devoir de jeter hors du Sépulcre ces gros charbons, pour, à tout le moins, recueillir les cendres et les conserver comme Reliques ; mais ils furent bien étonnés et ravis d’aise, quand ils virent que le feu n’avait pas seulement endommagé le coffre de bois auquel était enfermé le saint Corps, dont ils rendirent grâces à Dieu et à S. Melaine.

XV. Le Roi Salomon II. du nom, se voyant en paix avec tous ses voisins, voulut honorer la mémoire de ce saint Prélat et embellir sa ville de Rennes du Roial Monastère de S. Melaine, lequel il fonda dans ladite ville, environ l’an de grâce 630, le rentra et orna de tout ce qui y était requis et y fit transporter le Corps de S. Melaine, lequel y demeura jusque à l’an 878, que les Seigneurs Bretons entrants en combustion et guerres civiles les uns contre les autres, après l’assassinat commis en la personne du Roi saint Salomon III du nom, les Normands prirent terre en notre Bretagne et y menèrent une cruelle guerre, nommément aux Églises, Images et Reliques des Saints. Pour éviter leur rage et leurs mains sacrilèges, on transporta hors du pays les corps des Saints ; et, entre autres, celui de S. Melaine et celui de S. Clair, premier Evesque de Nantes, furent portés à Bourges en Berry. Depuis, au temps de Pierre Mauclerc, Duc de Bretagne, l’an 1231. le Corps de saint Melaine fut levé au Château de Prully en Touraine, par l’Archevêque de Tours ; par qui, quand, ni comment il fut apporté, je ne l’ai pas trouvé par écrit. Ils en ont des Reliques à saint-Melaine de Rennes, et à saint-Melaine de Morlaix, et, l’an 1624. Le Révérend Père en Dieu Messire Guy Champion, Evesque, Comte de Treguer, le 29. jour d’Octobre, Fête de l’Élévation de S. Yves, bénit le Grand Autel du Convent de S. Dominique de Morlaix et y mit des Reliques de saint Melaine.

Cette Vie a été par nous recueillie du Martyrologe Romain, le 6 Janvier, et du Cardinal Baronius, en fait Annotations sur celui, et du tome 6. de ses Annales, en l’an 507, nombre marginal 22, le tome 1. des Conciles; Vincent de Beauvais, au Miroir Historial, L 22; Pierre de Natalibus, l. 2, ch. 49; S. Grégoire de Tours, de la Gloire des Confesseurs, 55; Sigebert, en sa Chron. ; S. Antonin, en ses Histoires, partie 2, titre 16, chap. H ; Sarius, le 6. Janvier; René Benoist, en son Légendaire; les anciens Légendaires MSS. de Nantes, Léon et Treguer; les vieux Bréviaires de Léon et Cornouaille, qui en ont F Histoire en 9. Leçons ; le Proprium Sanctorum Rennois ; (TArgentré, en son Histoire de Bretagne, liv. 1, ch. 10, et liv. 5, ch. 16; Robert Cœnalis, de re Gailica, lib. 2, perioche 6; T. Friard, aux Additions à Ribadeneira, le 6. Janvier ; F. Augustin du Pas, en son Catalogue des Evesques de Rennes, à la fin de son Histoire Généalogique des Illustres Maisons de Bretagne ; Claude Robert, en sa France Chrestienne, es Evesques de Rennes, et de Jean Chenu, en son Histoire Chronologique des Evesques de France.

Ah ses hautes vertes, sa sage immixtion dans les affaires politiques, par le charme de son éloquence , le grand évêque de Rennes gagnait tout le monde , et il réussit à gagner le roi des Francs; quels furent les résultats de cette influence? on peut le voir par les lignes suivantes : c Ce charme d’esprit et de parole qui gagna Clovis lui-même, ne révèle-t-il pas à coup sûr l’habile négociateur qui unit en un seul peuple , sous le sceptre catholique de Clovis, pour le plus grand bien de la Gaule et de l’Église, les Gallo-Armoricains et les Francs? — Or cette union est peut-être l’événement le plus important des origines de l’histoire de France* Cette accession des cités armoricaines doubla la puissance de Clovis, et leur vaste territoire, joint à celui qu’il possédait dans le Nord de la Gaule, lui donna les forces nécessaires pour supplanter, détruire les deux monarchies ariennes, Wisigoths et Burgondes, et les remplacer par un état catholique, c’est-à-dire précisément fonder la nation française qui sans cela n’aurait jamais existé. Saint Melaine fut l’un des principaux agents de cet événement capital. Clovis le reconnut si bien, lui en garda une telle gratitude, que pendant tout son règne, surtout dans les affaires religieuses, il continua de demander et de suivre ses avis i Enfin, en l’an 511, quand Clovis maître de la Gaule, au faîte de la gloire, voulut couronner son œuvre en consacrant dans une solennelle assemblée l’alliance intime de l’Église catholique et de la monarchie des Francs ; quand il convoqua pour cet objet tous les évoques de son Royaume, le directeur, l’inspirateur, l’âme de ce grand concile national, qui pouvait-il être sinon l’ami, le conseiller toujours écouté de Clovis, c’est-à- dire saint Melaine? En effet, son biographe rapporte : Le roi Clovis ayant réuni à Orléans un synode composé de trente-deux évoques , saint Melaine y brilla comme le vaillant porte-étendard de toute l’assemblée, ainsi qu’en témoigne la préface de ce concile, i « De cette union — signalée plus haut , — de cet accord de l’Église catholique et du peuple gallo-francs représenté et gouverné par Clovis, la France est née. L’œuvre politique, historique, dans laquelle saint Melaine eut un rôle essentiel et capital , c’est donc simplement — la création de la France.

Et ce grand homme, ce grand saint, aujourd’hui dans sa ville épiscopale n’a sous son patronage qu’un autel, celui d’un hôpital. On l’a chassé de sa propre église, élevée primitive. Comme on le verra plus loin, on nomme aussi actuellement cette église : Notre-Dame, mais la très sainte Mère de Dieu n’avait nullement besoin d’être ici substituée au vrai patron de l’église; on ne dira jamais trop combien * toutes ces fantaisies individuelles, ces tripotages liturgiques sont contraires à la vraie piété. ment sur son tombeau, rebâtie ensuite dans sa forme actuelle avec les dons faits au saint lui même, toujours resté son patron jusqu’à la Révolution ; aujourd’hui dans cette église il n’a ni une chapelle ni une statue ! C’est une scandaleuse ingratitude (1). » Les habitants de Rennes penseront ce qu’ils voudront de cette sortie; elle est bien vigoureuse, mais qui oserait dire qu’elle n’est pas justifiée? — Il est vrai que dans la cathédrale de Saint- Pierre de Rennes la première chapelle du bas-côté méridional est dédiée à saint Melaine Pouillé historique, par M. Guillotin de Corson, tome I, p. 790).

Saint Melaine avait établi un monastère dans son domaine patrimonial de Plaz (paroisse de Brain); devenu évoque il s’y retirait souvent. Un vieillard du pays de Vannes ayant perdu son fils dit à ses amis : — Portez le corps de cet enfant au bienheureux Melanius, j’ai confiance qu’il pourra le rendre à la vie, lui qui prêche le Dieu vivant. » Puis quand le corps est déposé aux pieds du thaumaturge, le pauvre père dit avec la même foi : c Homme de Dieu, je crois que tu as le pouvoir de ressusciter mon fils d’entre les morts. Il y a là une foule haletante d’émotion et de curiosité; c’est à elle que le saint évêque s’adresse d’abord : c Venètes, leur dit-il, à quoi bon faire des miracles devant vous au nom du Christ, puisque vous refusez obstinément de recevoir sa foi ? » Les Venètes qui d’après l’auteur de l’ancienne Vie de saint Melaine étaient encore presque tous païens, répondent : — Si tu ressuscites cet enfant, sois-en sûr, homme de Dieu, le Dieu que tu prêches, nous y croirons tous ! 9 Alors Melanius fit une prière, posa une croix sur la poitrine de l’enfant, et l’enfant revint à la vie. Les assistants s’écrièrent : Nous cRoions tous au Dieu de Melanius. » Peu de temps après, saint Melaine eut la joie de baptiser tous les témoins de cette scène, c à très peu d’exceptions près, » dit l’hagiographe. A la fin de sa vie il avait achevé la conversion de toute la contrée, et particulièrement des campagnes.

Église de Saint-Melaine de Rennes. cette église, qu’on nomme aussi actuellement : Notre-Dame, située tout près du Thabor, est un vaste édifice où l’on trouve réunis les styles du XI «, du XII« et du XIII siècles. En effet la porte principale, les collatéraux de la nef et le transept sont de 1032 et de 1054. La nef et le chœur ont été bâtis au XII siècle. La tour, romane à sa base, fut continuée au XIV siècle et terminée en 1672 ; la statue de la Sainte Vierge qui la surmonte a été placée en 1867. Un hôpital et les bâtiments de l’Archevêché occupent l’emplacement de l’ancienne abbaye de Saint-Melaine.

C’est un ancien prieuré de Saint-Melaine de Rennes, fondé vers 1150 par Guyonvarc’h de Léon. L’église actuelle est datée par une inscription gothique gravée sur un cartouche que tiennent deux anges au haut du porche midi : L’an mil quatre cents quatre vingt neuf fut commencée ceste Église de par Dieu. Au fond de ce porche, au haut du trumeau qui sépare les deux portes géminées, une niche flamboyante abrite une curieuse Vierge gothique, vénérée sous le vocable de Notre-Dame de Bon-Secours. Le clocher fut terminé en 1574. A l’intérieur il faut remarquer tout d’abord la

(1) Histoire de Bretagne, par M. A. de la Borderie, tome I, p. 330 et 337.

(2) Ibid., p. 365 et 266.

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